samedi 5 mars 2016

LES CLOCHES DE L'ENFER





Non, pas des cloches comme ça...
Celle-ci, très belle, provient du La Esmeralda, et peut être admirée au musée de San Miguel à Cozumel.

Non, les Cloches de l'Enfer sont d'un autre type.
Les cloches du cenote Zapote, mieux connu sous le nom de Hell's Bells, sont des formations de type stalactite, mais d'une forme unique à ce cenote et deux autres voisins, au nord de Puerto Morelos, sur le continent.

On ne les trouve que là, nulle part ailleurs au monde.

J'ai failli les voir il y a quelques années, mais une otite sévère à la dernière minute m'avait empêchée de pouvoir cocher cet important item sur mon Bucket List.

Pas cette fois!
Après une semaine de plongée en mer avec Vicky, et une autre dans la grotte de Chempita avec German, il me reste une journée avant le retour forcé vers l'hiver.
Et le plan est prévu d'avance!

Avant l'aube, je suis au traversier. Il fait un vent du Nord depuis trois jours, personne ne sort à la marina. Mais les grands bateaux passeurs traversent.



Quand je quitte l'île finalement, le soleil se prépare à se lever derrière les nuages gris. La plupart des passagers du ferry le sont aussi, gris!...Puis d'une jolie teinte de vert, alors que nous parvenons au large et que le navire est la proie de vagues immenses.

Je suis peu sujet au mal de mer. Mais j'avoue que cette fois-là, j'ai évité de lâcher du regard la ligne d'horizon! Je sentais que les choses étaient fragiles!



Environ 45 minutes, et je marche avec mon matos vers le point de rencontre avec mon guide, Peio, envoyé par les bons soins d'Aude Bastiani de chez 02 Mexico.

Il me retrouve, même si je me suis un peu gouré d'endroit...
L'homme est super sympathique, doué d'humour, hispano-français avec l'accent du sud.
Nous nous entendons super bien tout-de-suite, et les plongées fascinantes qui nous attendent seront assaisonnées d'histoires hilarantes.





Le site des cenotes est assez en retrait. Faut savoir...Mais autour d'une heure de trajet et nous y arrivons.
Je m'attendais à ce que l'endroit soit un peu...rustique. Mais à ma grande surprise, Zapote ne l'est pas du tout! (Bon, les autres, c'est une autre histoire!)





L'entrée au cenote relève pratiquement de l'art de l'aménagement paysager!

Un groupe de plongeurs remonte des profondeurs et se prépare à sortir. Nous leur laissons le temps et la place. Ils ont un fort accent que je n'identifie pas vraiment. Péio me dit qu'ils sont russes, et entreprend de me raconter hilare une histoire avec des clients russes qu'il avait guidés, en imitant l'accent à la perfection.
Un de ceux-ci avait dû remonter d'une plongée après à peine 20 minutes.
-Did you like the dive?, avait demandé Péio.
-Shiiit!, répond le russe, avec un accent à couper à la tronçonneuse.
-I wanna go deeep, ajoute-t-il.
-But you have to breathe more slowly, suggère Péio diplomatiquement. If you want to go deeper, you   must breathe more delicately.
-I britte arrde.
-But you take too much air and...
-I britte arde. I like britte arde.

Fallait y être, peut-être! Mais je me bidonne encore à m'en rappeler!

Nos amis du Nord repartent, et nous nous préparons.
Je n'arrive pas à croire que je vais enfin voir Hell's Bells...






Je ne suis pas déçu.
L'endroit est à couper le souffle, si j'ose dire...

Autour de 100 pieds environ, tout le tour de la grotte après la restriction centrale (c'est en fait une doline en forme de sablier), les stalactites étranges en forme de cloches s'entassent et poussent même les unes sur les autres.



À l'intérieur des cloches, des micro-formations cristallines...










...et elles sont couvertes d'une texture aux allures organiques, qui rappelle un peu celle des pachydermes. Certains voient d'ailleurs dans ces formations des pieds d'éléphants plutôt que des cloches...




Certaines sont fermées, mais la plupart ouvertes derrière.









Il y en a de suffisamment grosses pour cacher un plongeur. Et ailleurs, comme ici, les parois sont couvertes de toutes petites stalactites...Une pouponnière de cloches...














Certaines se divisent...




...d'autres se multiplient en longueur!




Et le plus fascinant dans tout ça: personne ne sait encore comment elles se sont formées!
Elles sont pour les géologues en grande partie un mystère...
Leur formation et le fait qu'elles ne se retrouvent qu'ici sur toute la planète sont sans doute liés...






Au centre exactement, à environ 120 pieds, un arbre émerge d'un dense nuage de sulfure d'hydrogène.
Dessous, la grotte se continue jusqu'à environ 145 pieds.

C'est là que fut trouvé un squelette humain qui reposait depuis la préhistoire.





La restriction formant le sablier, à mi-chemin du puits.



Péio remonte.
Beaucoup trop tôt, la plongée s'achève. J'y serais resté des heures...

À la surface, Péio me demande comment j'ai trouvé. Je luis dis ma fascination, combien j'ai adoré, comme je me doutais bien que ce serait. Un détail cependant, lui dis-je: je croyais que c'était plus vaste, en bas...

Ce à quoi il me répond, avec son humour:
-Ouais ben, c'est sûr que sans la musique grandiose...!

Mes confrères plongeurs avides de vidéos de plongée spéléo sur YouTube comprendront!!!!!

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Intervalle de surface, puisqu'il le faut...Agrémenté d'un sandwich au poulet assaisonné juste ce qu'il faut de chipotle. Merci Aude!
Nous nous déplaçons ensuite sur une très courte distance vers le cenote Kin Ha.
Avec arrêt aux toilettes, remarquablement bien aménagées pour un endroit en pleine jungle!




Mais justement..........c'est toujours la jungle!




Kin Ha ne porte pas bien son nom. Si Kin en maya veut dire soleil, ou chaleur du soleil, ou jour, on est en droit de se questionner!

L'entrée du cenote est un trou dans le calcaire du plancher de la jungle.







Et quelques marches de bois rudimentaires achèvent la descente vers une eau couverte de débris végétaux et de...guano, encore!

Mais bien sûr, sous la soupe opaque, l'eau est cristalline.





Mais l'endroit est étrange...Le roc est comme sale, verdi, bruni...Et ça et là poussent sur le calcaire des mousses douteuses.

Il y a malheureusement beaucoup de chances pour que les experts ne se trompent pas quand ils suggèrent aux plongeurs de visiter l’infra-monde mexicain le plus vite possible, s'ils veulent le voir propre, avant que le développement immobilier excessif et non contrôlé vienne à bout de l'écologie des cenotes...




Ici aussi, et dans une troisième grotte que nous ne verrons pas cette fois, des formations de cloches.
Mais différentes un peu. Moins finement ciselées, moins délicates...









Et un peu de vie. Des écrevisses cavernicoles, des poissons-chats...




Et ce grand mur absolument fantastique de formation botryoïdes, grappes de raisin soudées.
À lui seul, il valait la visite!

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Je suis de retour à Playa Del Carmen en fin d'après-midi. Je me paye quelques petits cigares mexicains et une cerveza, assis dans les marches d'un éfifice de 5th Avenue, en attendant le traversier qui me ramènera à Coz.

Plein de gens passent devant moi, touristes de partout, affairés, les bras chargés de sacs et de paquets au sortir des boutiques.
Il y a du bruit, de la musique, du mouvement, de la fébrilité.
Mais aussi beaucoup de superficialité...

Je n'ai même pas à fermer les yeux; à travers les volutes de fumée de mon cigare, je revois les Cloches De L'Enfer dans leur monde silencieux, inviolées et inchangées depuis des millénaires.

Le contraste est si grand, si estomaquant...

Mais je n'ai pas envie de juger, de chercher une morale...

Juste envie de savourer ma chance d'avoir pu un moment me soustraire au grand cirque humain pour plonger dans la mémoire de la Terre.




Et de retour sur l'île: double dose!

C'est le Carnaval de Cozumel!







mardi 1 mars 2016

COZ : THE DARK SIDE





























Un morpho bleu.

German Yanez et moi venons juste d'arriver au bout de la longue route qui pénètre loin dans la jungle de Cozumel. Nous avons à peine fini d'assembler le matos pour son transport à pied au cenote: le grand papillon azur vient nous saluer en voletant fébrilement de ses longues ailes comme des déchirures de ciel et repart dans l'impénétrable forêt.
Je suis sidéré devant sa beauté.

Il viendra chaque jour de la semaine qui suivra, que nous consacrerons à l'exploration du cenote Chempita.

Il faudrait probablement en fait écrire: Cheen Pita, qui se traduit du maya à peu près par ''L'endroit où il y a un puit''.

Le cenote est connu depuis quelques années, mais on croyait qu'il ne s'agissait que d'un puit vertical, assez profond.

Cependant, des membres du Circulo Espeleologico del Mayab A.C, dont German que j'ai connu il y a trois ans, ont récemment découvert un passage, que la très mauvaise visibilité des trente premiers pieds avait sans doute occulté.
Le dôme extérieur de la grotte sert d'abris à des milliers de chauve-souris. La couche d'eau du dessus est une soupe au guano opaque!

Je voulais retourner plonger les grottes de Coz, et avais donc contacté mon ami, qui les a pratiquement toutes découvertes et explorées. Personne mieux que German ne connait l'inframonde de l'île.

Alors quand il m'a proposé de l'accompagner à Cheen Pita et de l'aider a cartographier certains passages, en chercher de nouveaux et récolter des spécimens d'animaux cavernicoles inconnus, je ne me suis pas fait prier! Il m'annonçait en plus lorsque nous nous retrouvions le premier matin, que j'allais être le premier étranger à y tremper les palmes!












German Yanez et le matériel pour la plongée.






Pas de crocos à Cheen Pita, comme celui-ci au cenote Aerolito! Un bon deux mètres, quand même!




...mais des zillions de chauve-souris, accrochées autour de cette stalactite étrange, comme un des oeufs d'Alien !















Mon amigo German: instructeur, spéléologue, auteur, conférencier, explorateur.
C'est ici, aux portes du underworld, qu'il est le plus heureux.
Moi aussi.












Pour le moment, près d'un kilomètre de ligne a été installé dans la grotte. Mais certaines sections n'avaient pas été mesurées et cartographiées encore. Pendant que German procède aux relevés d'une section décrivant un vaste cercle dans une chambre aux dimensions colossales, il me demande de chercher par une série d'aller-retours vers l,extérieur de la ligne des possibilités de nouveaux passages. Et de photographier si j'en rencontre une crevette blanche qui habite la caverne.

L'opération prendra environ une heure. Pendant tout ce temps passé dans une seule chambre, et malgré que j'aie fait des dizaines de tournées toujours vers l'extérieur du trajet, Je n'ai jamais vu les limites de la salle!!!!!

Les dimensions de cette grotte sont incroyables...

Il est déjà certain qu'il s'agira de la plus vaste grotte de Cozumel.




End of the line!
 Nous irons voir plus loin, espérant trouver un passage. Il y est, si ce que nous avons pu trouver en est le départ, mais une bonne restriction est à passer avant. À environ 125 pieds, pousser l'exploration demandera encore plus de cylindres, et nous en portons déjà trois chacun en plus de l'oxygène de déco.
Plus tard...








Un peu avant la fin du fil, une ouverture se présente au fond d'une faille que la ligne enjambe.
Nous descendrons voir s'il pourrait s'agir d'un passage. Mais à 140 pieds, le tunnel redevient horizontal et se termine dans des éboulis.

Avant de ressortir, German trouve cependant une des choses que nous cherchons: un specimen de mille-pattes cavernicole d'une espèce inconnue jusqu'ici, endémique à Cheen Pita!
L'université demande cinq individus pour l'étude taxonomique qui établira avec certitude qu'il s'agit bien d'une découverte. Trois ont été analysés jusqu'ici, et tout l'indique!

Le spécimen d'aujourd'hui mesure un peu plus de la largeur de l'ongle d'un pouce.







Le calcaire de Cheen Pita n'a pas la blancheur immaculée des systèmes du continent, comme Nohosh Nah Shish. Tout-de-même, nous en trouvons par moment, qui ressort de l'environnement avec une pâleur irréelle.



Je baptise ces trois colonnes les ''Trois Sentinelles''. Elles sont hautes d'environ 30-40 pieds, et marquent la transition entre la salle immense, et celle de la zone profonde. À leur base, à environ 100 pieds, commence le nuage de sulfate d'hydrogène près duquel furent trouvés les autres spécimens de remipedia.





Les bouteilles d'oxygène, déposées près de l'entrée-sortie, prêtes pour la décompression au retour.




''Exploration en cours, Circulo Espeleologica del Mayab''




Petites stalagmites annelées.




Et voici cette petite crevette fantôme!
En fait, la grotte abrite deux espèces distinctes. Mais les deux sont nouvelles, et celle-ci, en plus, est d'une famille inconnue jusqu'ici.

La première, plus petite, portera le nom d'un ami spéléologue de German, décédé il y a peu. Agostocaris Zabaletae. En l'honneur de Mario Zabaleta.

La deuxième, photographiée tant bien que mal ici, n'a pas encore de nom. Pas évident de saisir la chose, en macro, en nageant, sans autre lumière que ma torche dans l'autre main! Il s'agit quand même des premières photos de l'animal, autres que des saisies d'écran de videos.


























Cette stalagmite là n'en a pas pour tres longtemps encore!!!

Je l'ai dit déjà: les cavernes de Coz sont beaucoup moins décorées de spéléothèmes que celles du continent. Mais elles n'en sont pas dépourvues non plus, et elles gagnent en mystère amplement ce qu'elles perdent en apparats!



Petite stalagmite d'un ''style'' que je n'avais jamais vu encore... Très colorée.



Le nuage de sulfure d'hydrogène.

Une des images qui restent gravées dans ma tête, mais impossible à photographier avec mon maigre équipement: pendant une plongée, German devant moi contourne un gigantesque rocher arrondi, en palmant deux pieds au-dessus du sulfate dont les volutes tournent aussi autour du roc.

Exactement comme si un plongeur géant planait au-dessus des anneaux de Saturne... Magnifique...

(bon, un peu de narcose aidant, peut-être!)



Les dits anneaux, à la base des Trois Sentinelles



Toute la grotte démontre les signes de forts tremblements de terre passés.
Ici, la base d'une Sentinelle, craquée...



Là, des stalagmites fortement inclinées.
Comment se fait-il que deux stalagmites se trouvant côte-à-côte et à peu près du même âge, puissent être si différentes?! Celle de droite a l'apparence d'une sculpture de cire un peu fondue!



Celle-ci, encore à moitié effondrée, sera baptisée par German la ''Torre de Pisa'', pour la célèbre tour italienne!





Des formations un peu botryoïdes (grec pour: en forme de grappes de raisins)



Débuts de draperies de stalactites soudées.









Celle-là, on peut se demander un peu quel nom on lui donnera!



Los Tres Centinelas, encore...



Pendant une décompression, en fin de plongée, dans une eau qui ne laisse rien voir que de très près, j'essaie de photographier le mille-patte trouvé tout au fond.

Et j'essaie aussi d'absorber tout l'émerveillement du moment...
Explorer... Nager dans des endroits que nul homme n'a vu avant. Rencontrer des êtres vivants inconnus...Aller au bout de soi et pousser un peu...

German, te estare engraciado por siempre, amigo...












Chempita, ou Cheen Pita, n'est pas secrète ou inconnue. Mais son accès est réservé pour le moment aux C.E.M, par le propriétaire des terres, pour la durée de son exploration. Et une très légitime éthique de la plongée souterraine commande que cette exploration soit respectée...

German yanez et le C.E.M ne sont pas subventionnés. Ils financent leurs explorations des grottes du Yucatan par leurs propres moyens.
Bien sûr, toute forme d'aide est bienvenue. Jusqu'ici, la seule compagnie qui a accepté de les sponsoriser est DIVE RITE.
Bravo à Lamar Hires, président et grand explorateur lui-même, pour avoir cru et continuer de croire en eux.
                                              ...

Il y a maintenant trois semaines que je suis revenu de voyage.
Il ne se passe pas un jour sans que je ferme les yeux et que je ressente la présence des trois sentinelles de Cheen Pita.
Elles me manquent douloureusement.

Je les reverrai.

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Prochain billet: Les Cloches De L'Enfer.