samedi 3 septembre 2011

PAR ICI...



Nous sommes là où le ruisseau Flagg se jette dans le fleuve, un peu en amont de Mariatown, Ontario, elle-même en haut de Morrisburg.
L'écluse 24, dont le mur sud fut dynamité pour ne pas nuire à la circulation maritime après son inondation de 1958, se trouve ici. Le ''lock'' est à 4.5 kms du Lock 23.

Nous y avions plongé pour la première fois l'année passée. Nous voulons cette fois rejoindre le large et dériver, histoire de voir ce qu'il y a à voir, là où peu de plongeurs se mouillent.

Et j'ai envie d'essayer quelque chose qui me trotte au ciboulot depuis un brin. J'apporterai mon carnet de notes, et à partir des annotations faites en temps réel, j'essaierai de décrire la plongée ''minute by minute'', comme si vous y étiez.

Alors on y va! Mais je vous épargnerai la préparation et la longue marche vers le point d'entrée à l'eau!
Voici le trajet, en jaune:



___ Par ici! _________________


Quel plaisir, quel soulagement que de se laisser glisser sous la surface en apesanteur, le poids de l'équipement disparu!
Il est 13:20hres à ma montre. 3000 lbs de pression dans mon 80 pieds cubes alu, que je porte en simple sidemount.
Il n'y a que 6 pieds d'eau ici, sur l'ancienne Ontario Provincial Highway 2, devenue après la Grande Inondation de 1958 une autoroute sous-marine.
Nous la longerons vers l'est jusqu'à l'ancien lit du ruisseau Flagg et le magnifique tunnel qu'il empruntait sous la route.



Les petits gobies s'amusent à traverser impunément les lignes blanches encore bien visibles!
Nous dérivons Nick et moi tout doucement au-dessus du pavé. Une grosse chaîne traîne sur le côté de la route, devenue raide et inflexible par la rouille.
Quelques mètres encore et entre deux bosquets d'herbages marins nous arrivons au pont-tunnel, gardé par un magnifique malachigan! Je m'apercois que de gérer mon notepad et la caméra présente quelques problèmes de vitesse d'éxécution, et je rate la photo!
Mais Nick en photographiera un autre un peu plus tard, que voici.



Je l'trouve bien beau, cet étrange poisson! Il y a quelques années, je me rappele qu'on en voyait deux énormes, rôdant autour de l'épave du Wolf Islander à Kingston.

Je tourne à droite et coule de l'autre côté du bord sud de la structure où est inscrite l'année de construction (1927), vers le fond...
J'adore la façon dont le son des bulles s'assourdit et change d'octave avec la profondeur. L'eau est encore à 72 degrés, j'aurais dû rester en wet 3 millimètres plutôt que ce 7 qui me fait moins la sentir glisser sur moi.
Le plancher dans le tunnel est à 17 pieds. Ce dernier a 50 pieds de longueur; je le mesure en y nageant doucement, touchant le mur du bout de l'index à chaque 12 pouces. Dix pieds de hauteur à l'intérieur, et autant de large. Dans chaque sens, la sortie est un carré vert lumineux flottant dans l'ombre. C'est vraiment beau...
Quelques crapets de roche s'y cachent, comme à leur habitude. Et de gros pères achigans gardent les entrées, et leur garde-manger sans doute.



''...touchant le mur du bout de l'index''

Quinze minutes ont passées déjà, depuis l'immersion. Nous quittons à regret le petit pont et nous dirigeons franc sud en suivant le lit du ruisseau englouti. Il faut 7 minutes de lente progression contre un léger courant créé par l'entonnoir de la coulée, suivis tout le long par un achigan noir tres territorial et pas content, pour atteindre la pente qui descend vers l'''ancienne rivière''; le lit original du fleuve avant 1958.
38 pieds ici, en pente douce vers 45 pieds un peu plus loin.
Le courant est très fort.
Nous dérivons quelques pieds au-dessus d'une plaine jonchée de rochers, tapissée de coquillages vides et blanchis.
De temps en temps, j'aggripe une roche au passage et le courant me fait faire un 180 comme un coup de fouet. Je scrute les environs, ou du moins les trente pieds qui en sont visibles dans chaque direction.
33 minutes dans la plongée. Je suis arrêté, me tenant à un rocher. Nick arrive à ma droite et en saisit un aussi. J'ai vu un mouvement sur le sol. Entre deux petits cailloux ondule tres lentement-ce qui est surprenant dans un tel courant-, ce que je prend tout d'abord pour un bébé anguille.
Je le saisis doucement, mon carnet de note coincé entre mes cuisses, la caméra attachée au poignet.
C'est une lamproie. Mais elle ne mesure que six pouces environ, et sa bouche est toute petite. Elle agonise, visiblement. Ses yeux sont presque éteints, son corps bouge à peine.
Je fais comprendre à Nick que j'aimerais qu'il la tienne, le temps que j'essaie de la photographier malgré ce courant à décoiffer un buffle.


Je lirai plus tard sur le web qu'il s'agit en fait d'une Lamproie Du Nord. Ce n'est pas, comme ses cousines, un parasite tuant un poisson sur sept. Elle se nourrit d'animalcules enfouis dans la vase, et l'adulte, après 6 ans de croissance lente, mourra apres la reproduction. C'est ce qui lui arrive à elle...

37 minutes.
Nous sommes revenus au pied de la pente menant au nord à l'écluse 24, qui s'étend d'ouest en est.
Il y a des rochers et des poutres éclatées partout, vestiges de la destruction du mur sud de l'écluse.
27 pieds de profondeur. On dérive toujours.
Je remonte vers le mur nord du lock.
Et j'y suis acceuilli par la gang de rue locale! 23 achigans tres respectables m'entourent, inquisiteurs!

C'est comme les chubbs dans les caraïbes, au palier de sécurité, qui vous entourent à ne plus voir votre buddy, picorant les cheveux en pensant qu'il s'agit d'algues savoureuses!


Et puis c'est l'entrée en scène des dorés! Des douzaines de beaux dorés!
L'endroit est aussi poissoneux qu'il l'était l'année passée. Je m'immobilise entre deux monolithes gisant sur le tapis de coquillages et passe un moment à savourer leur présence. D'ordinaire assez craintifs, les gros dorés viennent me voir et me frôlent, me regardant du coin de l'oeil comme des gentilhommes polis mais curieux.



50 minutes à la plongée. 1500 lbs au manomètre.
Le temps de continuer la dérive vers le point de sortie encore loin. Tous les terrains bordant le fleuve, là-haut, sont privés. Nous devons sortir au Parc Des Loyalistes, une petite aire communautaire.

Nous dérivons au pied du mur de l'écluse, constitué de gros moëllons. Usant de nos poumons comme de ballasts, nous jouons à saute-mouton avec les débris de son ancienne gloire, quand elle acceuillait les navires du début du 20eme siècle qui évitaient ainsi les rapides dangeureux.



66 minutes. Nick tombe sur une ancre coincée, abandonnée. Une petite ancre neuve, qui n'aura sans doute eu comme épitaphe avant son abandon au cimetière marin que les élucubrations colériques de son pêcheur propriétaire, la pauvre!



Au bout de quelques minutes, alors que nous transportons le butin, Nick l'ancre et moi la corde, sous l'escorte des achigans et dorés, le mur de pierre fait place à un mur de bois au travail exquis de madriers tricotés avec art, devenus ici le refuge de milliers de gobies troglodytes.



Le temps passe et ne passe pas. Tout est si différent sous l'eau. Comme si même le temps était mouillé, ondulant plus doucement, fluide paresseux, que lorsqu'il claque au vent du monde d'en haut...

Je dérive presque hypnotisé par la géométrie des planches entrelacées, zeppelin géant aux yeux des petits poissons gris qui les habitent. Le haut du mur est à treize pieds, je vole deux mètres plus bas.
À 70 minutes sonnées; le mur s'arrête.
Nous sortons du Lock 24.
Nous suivons maintenant une pente en éboulis de rochers couverts de moules zébrées, royaume des écrevisses patrouillé des éternels achigans qui s'en régalent. Un peu plus bas, là où la lumière baisse un peu, c'est toujours le cortège des dorés.
De temps en temps, nous croisons aussi quelques chevaliers blancs, une grosse carpe, des perchaudes...
Au haut de la pente, comme une chevelure blonde au vent, les longues valisnéries ondulent dans une eau bleuâtre.
C'est magnifique, comme toujours...



Petite montée à la surface à 82 minutes pour vérifier où nous en sommes.
On est presque arrivés au Parc.
Nous redescendons vers le lit de l'ancienne rivière pour un dernier coup d'oeil.
35 pieds ici. Toujours cette prairie semée de rochers, ces autoroutes de coquillages blanchis lumineux...

Voila. 95 minutes à la plongée, les 500 lbs d'air au cylindre au cas-où.
Je referme mon carnet de notes, et monte tres lentement sur le dos, le visage baigné des rayons du soleil qui cherchent sous la surface à peindre leurs zébrures dorées.
Comme d'habitude, je n'ai aucune envie de retrouver le monde, le bruit, la lourdeur, la hâte, la course à la superficialité.

Mais j'ai d'autres cylindres...





1 commentaire:

Anonyme a dit…

Jean Louis, C est comme si on y etait ... faute de temps pour nous de ce mettre a l eau

Merci et en plus de la peinture , tu a tout une plume ..

Stefane