vendredi 10 août 2012

LE JARDIN DES IMMORTELS

J'écoute un docu sur la Mongolie.
J'ai toujours voulu voir ce pays. Sauter dans le Transibérien et débarquer là, et marcher dans des paysages de début du monde.
Voir les meilleurs cavaliers guerriers danser dans la steppe.
Mais les mongols ne se battent plus, forts et fiers comme Gengis Khan. L'ennemi est plus fort, cette fois.
La Mongolie se désertifie, suite aux élevages non-traditionnels pour le profit et aux changements climatiques.
Les derniers 10 ans ont vu l'herbe disparaitre autour du grand lac, et le dzud glacer les printemps trop longtemps.

Le Mongol se demande s'il peut faire quelque chose, ou si arrive le temps de la fin des hommes.

La Mongolie meurt, et tout le monde s'en tape.

Alors je retourne en pensée sous les eaux du lac Tremblant, où nous plongions hier.

Je retourne à ce fabuleux jardin zen de pierres millénaires, sculptées par le temps.

Là, perché en haut d'une falaise de calcaire plongeant vers les abimes noirs et glaçés, percée de cavernes où les lampes révellent les milliers de lucioles des fragments de mica, des êtres vivent tranquilles.

Inchangés depuis des siècles...
L'hydre immortel, les zoïdes identiques depuis des millions d'années.

Je retourne en pensée survoler lentement dans les ondoiements de lumière dorée les vestiges d'ères oubliées.

Et ça me fait du bien de goûter un peu à l'infini, d'emprunter un peu d'éternité à ces vieux sages de roc pour panser la douleur de ma fugacité et changer le goût amer de la superficialité des hommes...
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Sur la carte géologique que mon ami Henri m'a fait parvenir pour me désennuyer pendant ma convalescence, une gigantesque langue de calcaire traverse le lac Tremblant.
Calcaire et eau: la belle recette pour fabriquer des cavernes!
Et les locaux parlent de paysages étranges sous l'eau. De volcans, de laves pétrifiées, de grottes et de la mort de ceux qui ont voulu voir, victimes des grandes profondeurs et de l'obscurité...

Mais le mont Tremblant n'est pas un volcan, ne l'a jamais été.
Tout de même, les descriptions que l'on me fait de formations rocheuses bizarres, de colones de roc, enflamment mon imagination!
Il faut aller voir.

Il faudra plus de deux mois de recherches pour finalement obtenir la permission d'accéder au lac.
Merci beaucoup Dominique, Andrée, M.Dubois et merci infiniment Sue...

Et le jour arrive enfin, parfait: soleil, aucun vent. La traversée en canot empli de matos de plongée est possible.

Nous savons à peu près où trouver ces ''sculptures'' rocheuses.
À peu près!
Et à peu près aussi à quelle profondeur!

Arrivés à destination, nous cherchons un peu d'ombre pour enfiler les drysuits. Je hais suprèmement mon dry. Trop grand, et il prend l'eau de partout. Mais il ne m'a vraiment pas coûté cher, alors...

Enfin, après des mois à espérer ce moment, nous passons sous la surface.

Une falaise.
Verticale parfaite plongeant vers les profondeurs noires. Assez intimidant!
Nous descendons lentement. Elle est entièrement constituée de calcaire.
Et à une quarantaine de pieds, une colone de pierre d'un mètre en surgit!




(photo:Nick Fulleringer)

On dirait un tronc d'arbre pétrifié. Mais il s'agit clairement d'une inclusion.
(En minéralogie, une inclusion désigne un matériau emprisonné à l'intérieur d'un minéral, le plus souvent un autre minéral, plus dense et dur, qui pourra être exposé progressivement lors de l'érosion du roc plus tendre.)

S'il est très fréquent de voir des inclusions dans les marbres, il l'est vraiment moins d'en observer de cette forme et de cette taille!
Mais je suppose qu'ici, sous l'eau, à l'abri des tempêtes, du gel, des vandales, des accidents du monde d'en-haut, l'érosion du calcaire cristallin au fil des siècles, des millénaires, s'est faite tout doucement...
Le temps que ça a dû prendre m'étourdit!

Plus bas, autour de 60 pieds, l'eau est glaciale. Il fait noir. Et il y a une petite caverne!
Impossible de photographier avec l'équipement que nous avons...
Mais ma lampe révelle de multiples scintillement à l'intérieur: le calcaire est parsemé de mica doré et brille comme un ciel étoilé!
Il serait possible d'entrer, passé une restriction, mais elle ne semble pas très profonde. Une vingtaine de pieds. Et elle est visiblement très fragile, et donc dangeureuse.

Je dois remonter un peu, j'ai froid. Nick aussi. Il ne sert à rien de descendre plus, pour le moment. On nous a dit que les ''colones de pierre'' se trouvaient sous assez peu d'eau.



Plus haut, un autre curieux phénomène.





Un biofilm rouge enveloppe les sédiments qui recouvrent tout.
''Les biofilms ont sans doute constitué les premières colonies d'organismes vivants, il y a plus de 3,5 milliards d'années. Avec les stromatolithes, ils semblent à l'origine des premières roches biogéniques et structures récifales, bien avant l'apparition des coraux.'' -Wikipedia
(lien)




Un crapet de roche garde la falaise...
Quelques achigans patrouillent aussi. Et où sont les grands touladis et les ouananiches qui dit-on peuplent le lac en grand nombre?
Presque disparus selon un pêcheur du village. ''Depuis qu'ils utilisent en grande quantité les antigels pour les canons à neige de la station de ski...'', dit-il.
Pendant quelques instants, je revois l'herbe de Mongolie...

Nous retrouvons le haut de la falaise. Un plateau un peu en pente baigne dans une eau jaune et confortablement tiède.



...et ça et là poussent comme des bolets d'autres petites colones de roc!
Une coupe à blanc de pierres!



Plus nous avancons, plus le paysage se complexifie.







Jusqu'à devenir carrément fantastique!



Il est ici, ce jardin de pierre, comme l'appelera Nick.



(photo: Nick Fulleringer)

Partout, du plancher de calcaire sortent ces fascinantes inclusions d'un roc dur et foncé imitant parfois à s'y méprendre des troncs d'arbres de différents diamètres.


Nous nageons lentement entre des crètes aux formes diversifiées et étranges. Comme si nous plongions sur un récif ancien changé en pierre. Méduse rôde peut-être?!



Même les éponges contribuent à l'illusion, fortement ramifiées et hautes comme des coraux!













Cette photo et les trois prochaines ont été prises avec un ''éclairage'' tungsten, une température différente de lumière, donnant cette eau bleue que tout le monde aime. C'est joli, mais ce n'est pas ainsi que le paysage s'offre au regard du plongeur, dans les eaux de thé des lacs du nord, sauf pour de rares exceptions...








Des strates de roche dure ayant gardées la mémoire des bouleversements des âges sous-terrains, mises à nu avec l'abaissement du calcaire environnant.


(photo: Nick Fulleringer)

Des monstres de pierre recouverts de lambeaux de biofilm longent les tombants!


(photo: Nick Fulleringer)



(photo: Nick fulleringer)


(photo: Nick Fulleringer)


(photo: Nick Fulleringer)

Nous sommes émerveillés.
Nous survolons ébahis, les yeux grands ouverts, un décor fantastique.

Mais la magie ne s'arrête pas là!

Je m'approche d'une souche, une vraie celle-là, pour y photographier un joli petit duvet que je vois onduler avec les mouvements d'eau.
Je me mets au mode macro et approche ma vieille Canon.
Mais ce que je vois dans l'écran viseur n'est pas un duvet quelconque...



C'est une colonie entière d'hydres!
Je les cherche depuis des années!!! Et alors je réalise que cette ''mousse'' que je vois partout depuis plus d'une heure.............
Le site au complet est habité de centaines de colonies du minuscule animal! Il y en a des milliers.....!








(photo: Nick Fulleringer)

Je n'en reviens pas! Je m'empresse de griffonner le mot HYDRAS! pour Nick sur mon calepin.

S'ensuit le photoshoot le plus intensif que verrons jamais les achigans locaux!
Ils sont magnifiques.

L'hydre est un cnidaire, comme les anémones ou les méduses. Elle capture au moyen de ses longs tentacules et de ses cellules injectant un poison des micro-organismes à la dérive. Exactement comme une méduse. Elle peut se déplacer, par culbutes, ou même ''nager'' sur de courtes distances. Mais elle reste toujours au stade de polype, ne développant jamais la forme méduse.

Et surtout: elle est immortelle!

Elle se regénère constamment. Aucun vieillissement. En un à deux mois, elle est entièrement renouvellée. Donc, si elle n'est pas détruite, elle est, dans des conditions idéales, immortelle...
(lien) 



En fallait-il encore un peu plus, pour rendre cette plongée mémorable?!
Apparemment si!
Nous tombons aussi sur des centaines de cristatelles. Il s'agit d'une colonie sous forme de ver un peu transparent, de dizaines d'individus appelés ''zoïdes''! La cristatelle fait partie des bryozoaires, ou ectoproctes. (lien)
La cristatelle et ses armées de zoïdes n'est pas si rare. Mais elle fait partie d'animaux présents depuis plus d'un million d'années.
Nous plongeons donc au beau millieu des résultats de tellements de siècles de transformations minérales, habités des formes de vies les plus basiques et anciennes, que le simple fait d'essayer de s'en rendre compte est étourdissant!!!


Cette fois j'imagine bien que nous sommes au bout de nos découvertes!...Il en reste une pourtant.

 




Que sont ces concrétions bizarres ressemblant à une grossière écorce poussant sur quelques objets métalliques que nous trouvons? Pourquoi le métal n'a-t-il pas simplement rouillé et ne se désagrège-t-il pas normalement?
Je n'en ai aucune idée pour le moment...Mais si vous en avez: dites-le moi s'il vous plaît!
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Nous passerons au total plus de quatres heures sous l'eau. Et ce sera quand même à regret que nous en sortirons, et amorcerons le chemin du retour, le canot rempli à raz bord d'équipements.












Je ne sais pas quand nous y retournerons. Mais je sais que je dois revoir le jardin de pierre, et ses habitants d'un autre âge...






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  (PS: je ne suis qu'un étudiant, et pas très doué avec ça! Il est fort possible que ce texte soit truffé d'erreurs ou de grosses sottises, malgré la recherche que j'essaie de faire de mon mieux. N'hésitez pas à me corriger si c'est le cas! Je rédige ces billets avant tout pour essayer de partager mon amour de l'eau et de la plongée, et des merveilles qu'elles m'apportent...)

5 commentaires:

Marina Kowalsky a dit…

MAGNIFIQUES PHOTOS.
ET EN EFFET, ÇA DEVAIT ÊTRE UNE PLONGÉE MÉMORABLE.

CAPTIVANT ET ÉMOUVANT

MERCI CJ ET NICK

Henri Lessard a dit…

J'en perds mes mots. Je me contenterai de celui-ci : fantastique !

Magnifiques photos et très bon texte pour nous permettre de mieux les apprécier.

Les pierres figées, les hydres immortelles, la rouille tortueuse, peut-être qu'on aurait pas dû quitter l'eau pour la terre ferme il y a quelques centaines de millions d'années !

Finalement, j'ai peut-être retrouvé mes mots !...

Unknown a dit…

Bravo ! Merci pour ce billet intelligent. Voilà le type d'environnement qui m'intéresse...

Dive Diva a dit…

Merveilleux. Il y a une formation qui me fait penser à un gâteau de noce un peu trash. Un monde vraiment inédit. Merci Poulet.

Unknown a dit…

J'aime bien, avec un détecteur de métaux ca serais génial, Bonne trouvailles.