mercredi 4 mars 2015
ATTITUDES
La ‘’Dive Attitude’’
J’avais quarante plongées à mon carnet, tout au plus.
J’avais déjà plongé en mer, à Santa Lucia et à Trinidad. Cette fois, j’étais à Cayo Coco, toujours à Cuba.
À part le guide, il y avait dans le bateau trois autres plongeurs. Des anglophones, d’Angleterre j’imagine. Quand j’étais monté à bord, j’avais eu droit à un rapide ‘’Morning!’’ de l’un d’eux, mais ils étaient vite retournés à leur conversation qui semblait fort sérieuse.
En regardant leur équipements, et en entendant le mot ‘’déco’’ quelques fois, j’avais vite compris qu’ils étaient de cette race que j’aspirais à rejoindre un jour : des vrais, des bons plongeurs.
Arrivés sur le site dont je ne me rappelle plus le nom, nous nous préparâmes à plonger.
Le guide m’expliqua tant bien que mal dans un anglais très approximatif que j’allais former équipe avec lui, que les trois autres étaient ensemble.
Je ne me souviens pas trop si j’eus de la difficulté à descendre, mais considérant ce qu’il advint par la suite, j’imagine que oui.
Toujours est-il que nous atteignîmes bientôt notre profondeur de croisière, autour de 25 mètres. À cette profondeur, je n’avais pas de problème de flottabilité bien sûr, mon néoprène étant bien compressé.
Mes trois ‘’vrais’’ plongeurs évoluaient plus bas sur la pente que nous suivions, en formation.
Le divemaster lui, dérivait confortablement huit ou dix mètres devant, un peu plus bas que moi. Il m’observait de temps en temps au début, mais dut conclure que je me débrouillais bien puisqu’il me laissait explorer çà et là à mon aise.
Graduellement, je me mis à respirer plus fort, plus vite. Il se passa quelques minutes avant que je réalise que c’était parce que je combattais une soudaine difficulté à rester en bas. Je devenais plus léger, sans doute au fur et à mesure que je vidais ma bouteille, et aussi parce que nous remontions le long de la pente, doucement.
Je n’avais plus d’air dans ma veste.
Je cherchai une roche, mais il n’y avait que du corail, plutôt léger. Je finis tout-de-même par en trouver un gros morceau mort, qui m’aida un bout de temps, mais ce fut vite insuffisant.
J’avais signalé depuis un moment au guide que mon niveau d’air baissait.
Je consultai mon ordinateur et m’aperçut avec horreur qu’il indiquait que j’étais à deux minutes seulement de la décompression.
À moins de quarante plongées, je n’avais évidemment jamais fait de déco, et la chose me terrifiait assez!
J’avais donc tout d’un coup un sérieux problème : plus ça allait, plus je flottais comme un bouchon, sous-lesté de plusieurs livres. Je ne pouvais pas remonter pour éviter la déco sans risquer une ascension incontrôlée que je savais d’autant plus dangereuse vu l’obligation de palier que me signifiait mon ordi. Et je ne pouvais pas descendre pour améliorer mon contrôle de flottabilité sans empirer cet état de fait.
J’en étais maintenant rendu à nager furieusement vers le bas constamment pour résister à l’attraction de la surface. Il ne me restait qu’une option : le guide.
J’eus le temps de voir qu’un des trois vétérans m’observait en rejoignant tant bien que mal le divemaster.
Je le saisis par un bras en lui pointant une de mes poches de plomb. Ce qui était assez superflu : il avait vite compris le problème à ma position la tête en bas.
Il prit ma main et me fit comprendre de le tenir par une sangle de sa veste, tout en me donnant un plomb qu’il avait pris sur lui. Il me fit signe de me détendre, que tout était ok, ce que j’arrivai à faire aussitôt que je sentis le poids du plomb supplémentaire et le retour d’une flottabilité contrôlée.
J’avais consommé beaucoup d’air à me battre contre le néoprène! Mais je savais que mon compagnon en avait suffisamment advenant que je vide ma bouteille complètement. Je relaxai donc à fond, et observai les saupes nous encercler alors que nous remontions lentement.
Quelques moments plus tard, nous étions de retour à bord du petit bateau, sous le chaud soleil cubain.
Je n’étais pas aussitôt assis qu’un des plongeurs me lançait : ‘’Mais qu’est-ce qui t’es arrivé en bas?!’’, sans le moindre sourire ou la moindre compassion.
Je lui répondis en anglais que j’avais mal calculé mon lestage, et que mon ordinateur était peut-être un brin conservateur.
Ce à quoi il ajouta qu’il avait été sur le point de venir m’attacher à son moulinet après l’avoir fixé au corail en bas, et que je ferais bien d’y voir parce que j’avais ‘’ruiné la plongée de tout le monde’’.
Bien entendu, avec ces mots, il venait d’achever la mienne!
Pendant qu’il se détournait et continuait de me blâmer de tous les maux avec ses copains, chacun y allant de son avis d’expert sur mon incompétence et ce que lui il aurait fait, mon guide cubain se pencha sur moi, et me dit en espagnol avec un sourire : ‘’Tu as bien fait, et tu es resté calme’’.
Je me souviens encore très clairement de ce moment, malgré les années, et je suis toujours reconnaissant à cet homme de sa compréhension et sa gentillesse.
Il y a de bonnes chances pour qu’il soit responsable du fait que j’aie continué à plonger plutôt que d’avoir été démoli par les propos de quelqu’un que j’admirais pourtant une heure auparavant.
Le temps a passé. J’ai suivi des formations, et surtout, j’ai plongé beaucoup. Dans toutes les conditions. Il m’est arrivé d’autres incidents, et j’ai appris à chaque fois une leçon précieuse.
J’ai plongé suffisamment pour atteindre un niveau de confiance confortable. Puis j’ai plongé encore, et appris à me méfier respectueusement de cette confiance!
Et j’ai rencontré beaucoup de monde, connu pas mal de plongeurs.
Des hommes et des femmes des deux genres que j’avais connu cette journée-là à Cuba.
D’un côté des plongeurs suffisants, prétentieux, vaniteux, convaincus de leurs compétences supérieures, aveuglés par leur brillance.
Ce sont ces plongeurs-là qui vous regardent de haut, qui sont seuls à posséder la bonne technique, les premiers à débattre de l’incompétence d’un autre, même s’il en est mort, plutôt que de démontrer de l’entraide ou de la compassion. Ceux-là qui parlent fort et qui nivellent par le bas dans les forums de discussion. Ceux-là qui ne sourient pas, qui préfèreraient mourir plutôt que de démontrer le moindre plaisir à faire ce qu’ils font. Les chest-thumpers, les machos, les gorilles.
Et de l’autre côté, heureusement, des plongeurs humbles, souriants, hyper-compétents mais discrets, calmes, compréhensifs et empathiques. Ils sont généralement d’excellents professeurs, mais ne vous aveugleront pas de leurs connaissances à moins que vous les sollicitiez, ou qu’ils croient pouvoir vous aider, ce qu’ils feront toujours avec un profond respect et sans s’imposer.
J’ai l’immense bonheur d’avoir connu de ces gens.
Le genre de plongeur qui a plusieurs milliers d’entrées au carnet, et que vous trouvez pourtant au beau milieu d’une plongée sur une épave couché sur le fond en train de jouer avec un petit achigan en souriant.
Le genre de plongeur qui répondra toujours patiemment à vos questions, même si comme moi vous l’en inondez sans cesse, et qui en plus saura souvent vous faire trouver la réponse plutôt que de vous l’imposer.
Parce que l'humilité, c'est l'expression de la réelle connaissance de soi, et de la confiance qui vient avec.
L'arrogance est une manifestation du contraire et de la peur.
Ce qui est un peu triste dans tout ça, c’est qu’étant donné l’humilité des bons, c’est bien souvent la voix forte des mauvais que l’on entend! C’est triste pour ceux qui commencent dans le plus merveilleux des sports, parce qu’ils sont à risque d’abandonner s’ils se laissent avoir par le côté obscur, ou alors de le rejoindre, s’ils ne sont pas assez forts.
C’est une question de nature humaine j’imagine. Il n’y a pas plus d’idiots en plongée que dans d’autres activités, même si parfois certaines discussions laissent perplexe!
Alors si j’ai un souhait à formuler pour les nouveaux plongeurs, c’est qu’ils aient la bonne idée de ‘’magasiner’’ leurs formations, leurs formateurs surtout, autant que leur buddy par la suite.
De prendre le temps de trouver quelqu’un qui aura la bonne attitude, qui leur inspirera confiance et respect parce qu’il leur en montrera autant.
Qui fera grandir leur amour et le plaisir de la plongée autant que leurs connaissances, avant leur égo.
Un binôme ou un professeur, c’est comme un amoureux : sans complicité réelle, ça ne mène à rien de bon.
Et by the way : si jamais l’imbécile de mon histoire à Cayo Coco lisait ceci, j’adorerais qu’il m’explique ce qu’il aurait fait après m’avoir accroché au corail!!!
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