lundi 11 octobre 2010

BOB ET LE LOCK 24

Bob a toujours aimé pêcher.
Même pas la vraie grande pêche au gros en bateau avec plein d'équipement et des sonars et les derniers leurres hots; juste la petite pêche à la perchaude, assis au bord sur une chaudière renversée, la canne de vers dans l'herbe, à fumer une bonne Player's...
En fait, ce que Bob aimait vraiment le plus; c'était de ''monter des murs''. Bob était mason. Et maintenant deux de ses trois fils perpétuent la tradition et ont l'amour de la pierre. Et il en est bien fier...
Bob n'a que 54 ans.
S'il est ici aujourd'hui comme presqu'à chaque jour ou il ne pleut pas, à taquiner le poisson et fumer plutôt que de travailler avec ses fils, c'est qu'il n'en a plus beaucoup la force, et que la chimiothérapie lui en a enlèvée encore du peu qui lui restait.
Bob a le cancer.
Il a vécu toute sa jeune vie ici, et a entendu parler de cette écluse engloutie juste à côté, quelques centaines de pieds au large pres de la pointe ou se mêlent au fleuve les eaux du ruisseau Flagg.
Mais il n'a jamais vu de plongeurs venir l'explorer, avant Nick et moi aujourd'hui.
Pourtant, le lock 24 est connu des plongeurs locaux, qui l'ont depuis longtemps nettoyé des bouteilles de whisky du début du siècle passé qui en jonchaient le long plancher de bois.
Nick a pu discuter longuement ce matin avec le pêcheur, avant que je puisse le rejoindre.

Au début de nos recherches pour situer la vieille écluse, après consultation des cartes géographiques d'époque, nous avions nommé cette pointe en amont du ruisseau Flagg au bout du chemin du même nom qui embranche sur la 2 à l'ouest de Morrisburg, la ''Fisherman's Point'', puisque Bob y était à chaque fois.
Nous la nommerons maintenant la Pointe à Bob.
 

Elle est au point jaune en bas à gauche. L'écluse est marquée par la ligne rouge, et le parc Loyalist où doit se faire la sortie de la plongée au point bleu. Les terrains entre Flagg's Bay et le parc sont privés et ne permettent pas de sortie. Au coin supérieur droit de la carte: Morrisburg. Si vous rejoignez à la nage en surface le début du lock et que vous y commencez votre immersion, vous devriez pouvoir atteindre en dérive le parc au bout de 45 minutes, si vous ne vous attardez pas outre mesure en chemin. La dérive est donc amplement possible avec un cylindre de 80 pieds cube, si votre consommation est raisonable. L'écluse est à une trentaine de pieds de profondeur.

Mais aujourd'hui il n'y a pas que l'écluse qui nous intéresse... Si le chemin Lakeshore Drive enjambe le ruisseau Flagg en 2010, il fallait bien que la vieille route 2 qui longeait à l'époque le fleuve avant l'inondation de 1958 le fasse aussi. Nous voulons donc commencer la plongée plus en amont, trouver l'ancienne 2 engloutie, la suivre vers l'aval jusqu'à ce que l'on voit de chaque côté le sol descendre vers le lit original du ruisseau, et trouver ainsi le pont qui devait inévitablement y être situé.

Et il y est!


C'est pas le Golden Gate peut-être; mais le charmant petit pont est aussi accompagné de l'agréable sensation que procure le fait de pouvoir vérifier sur le terrain ce qu'on peut déduire des vieilles cartes d'époque!



Les conditions actuelles de visibilité ne permettent pas de prises de vues éloignées ou très claires. Dommage; le pont est tres beau et très bien conservé. Peut-être plus tard en saison, ou au printemps très tôt...








Sous le limon et les sédiments accumulés, nous trouvons l'inscription gravée dans le béton ''ontario provincial highways'' ...et la date de construction du pont! 1927! Quatre-vingt trois ans plus tard...

Nous continuons la dérive en aval et parvenons bientôt à hauteur de l'endroit ou nous croyons trouver le début de l'écluse. Elle est bien là, une trentaine de pieds sous la surface pas bien loin au large de la route.
Et si elle a subi, au temps de l'élargissement de la voie maritime qui passe tout près ici, la destruction de son mur sud, le reste est relativement en bon état, et montre une technique de construction de mur de bois qu'il est impossible de voir ailleurs. Tout-à-fait magnifique!









De gros blocs de pierre, vestiges de la destruction partielle de l'écluse, traînent ici et là, offrant refuge à quantités de chevaliers, achigans, crapets, alors que rôdent autour les ''grands''; maskinongés, carpes immenses et bancs de gros dorés.






Chaque poisson que nous croisons nous fait penser à Bob et ses perchaudes. J'aimerais bien qu'il puisse nous accompagner et les voir. Et je me trouve bien chanceux, malgré que ce soit aujourd'hui ma première plongée depuis un long mois d'otite, de pouvoir les saluer et partager avec eux l'indescriptible plaisir de voler en apesanteur dans le monde du silence.
Et je me répète encore une fois cette pensée que nous oublions si facilement: il faut vivre là, maintenant, intensément, comme si çà allait finir demain.
Parce que oui; çà finit très vite.
Bob le sait.
Mes hommages, monsieur.


2 commentaires:

Renata a dit…

Bel hommage à Bob et à la vie...
Merci de nous rappeler ce message qu'il faut profiter du cadeau qu'est le PRÉSENT.

Nathalie C. a dit…

Je suis en retard dans ma lecture!
Wow, quel beau texte, quel beau message!
All my best to Bob!