dimanche 17 octobre 2010

Hors du temps...

Un ancien ruisseau, devenu rivière sous-marine, teinte l'eau de jaune et descend sur ma droite vers les profondeurs sombres et vertes.
Nous trouvons l'escalier quelques mètres plus loin, au haut du flanc nord du fossé qu'il avait creusé jadis au haut de la colline maintenant submergée. Sur les anciennes photographies, il est bien visible, à l'ombre des grands ormes, menant en bas à la cabane de l'éclusier. J'étais donc certain qu'il serait de pierre, comme le premier plus à l'ouest. Mais il est de bois, du moins ce qu'il en reste...



Nous l'empruntons, flottant un peu au-dessus, et les achigans nous abandonnent alors que nous descendons vers l'écluse et que s'installent silence et lourdeur dans le crépuscule éternel du vieux canal. La lumière ne pénètre plus ici comme elle le fait en haut, dansant sans cesse de ses rayons comme si elle avait perdu quelque chose. Dans le lock, le jour est une vague lueur glauque loin au-dessus, qu'on oublie bientôt quand le chant bas et litanique des passés oubliés essaie de vous séduire pour que vous restiez...

Il y a une épave quelque part près d'ici, dit-on en haut. Nous descendons encore, lentement, vers le lit du canal, aux pieds des hauts murs de moellons démesurés déposés sur des cageux ancestraux.



Et nous nous laissons dériver en apesanteur dans l'obscurité.
Je vole sans mouvements au-dessus de l'accumulation séculaire de sédiments gris comme la mémoire malade, et je vois derrière moi quelques fois, quand je m'en approche trop, lever sous mes palmes de petits vortex noirs, comme des gobelins cherchant à m'aspirer.

Dans le mur, sur ma gauche, apparait soudainement un lambeau de nuit.
Une grande ouverture s'y découpe et brille au fond un oeil vert qui ne cille pas.





À quoi servait cette chambre et sa petite fenêtre unique, toute au fond?...Elle est emplie de joncs et de plantes aquatiques déracinées que le courant emporte constamment. Elle est aussi emplie de danger, et la poutre que je touche bouge facilement; tout cherche à s'écrouler.
Je recule, et suis repris par les eaux du canal qui continuent leur procession au pays des ombres.

D'autres ouvertures défilent lentement et le rythme hallucinant des clins d'oeil noirs me rappele un cauchemar qui me hantait souvent petit. Ou une succession d'alcôves sombres dans le corridor rétrécissant d'un temple égyptien psalmodiait l'incantation mortelle de ma mise à mort par un prêtre tyranique...

Toutes sont emplies de forêts denses de plantes noires, et toutes menacent de s'effondrer à tout moment.
Certaines ont commencé...


Et sont devenues le mausolée de monolithes écroulés, tombeaux de géants endormis couverts de la poussière du temps liquide, agonisants sous le regard blafard d'horloges sans aiguilles, de jours et de nuits que l'indifférence des profondeurs dissocie.
Et je dérive toujours, et l'image de mon partenaire flottant un peu plus haut devient intermittente et imprécise alors que cette poussière m'enlise aussi. Et je me surprend à imaginer que je n'aurai aucun souvenir de tout ceci, que si je quitte ce monde, il effacera de ma mémoire ce que j'y aurai vu...


Et soudain apparaissent les gardiens. D'abord comme une ombre dans l'ombre, comme émergent d'une symphonie les voix des barytons, ils apparaissent alors que le courant ralentit et s'immobilise presque.
Je suis entouré de dizaines de piliers géants, colones de bois massives hérissées en tous sens, forêt de troncs sans branches dans lesquels des noeuds protubérants dessinent des visages hurlants le silence d'éternelles solitudes froides.
Qui sont-ils? Pourquoi sont-ils là? Qu'est-ce qu'ils font?
Redressé entre deux eaux, je pivote sur moi-même comme assomé du chant de ces orants engloutis, et je descend sans m'en rendre compte sous le poids de leur regards, halluciné, ébahi.






Quand je reprend mon souffle, et un peu de mes esprits, je ne peux plus bouger. Et quelque chose lentement me tire vers le bas, dans le noir. Et je vois au bout de mon regard, devant moi, couché sur le lit des débris de plantes entremêlées dans lequel je m'enfonce, un grand maskinongé immobile.
Les yeux de mon âme, eux, voient tourner le coin d'un ruelle en ruines l'étalon fou, noir et hénissant de l'épouvante, bave et crinière au vent.

Chaque coup de palme semble m'emmêler un peu plus, et le goût de mon air devient acide.
Le maskinongé décolle comme une fusée d'une seule pulsion de tout son corps.
Et je décide de le suivre. À coups de corps entier, ondulant en même temps que je gonfle ma veste, les grandes herbes décrochent et me libèrent comme à regret.

Le cheval se calme et se tait...

Mais le temps d'en haut a fait son oeuvre. Deux heures ont passé, la fatigue s'installe, avec elle le froid.
Il faut remonter. Quitter pour un moment la mystérieuse magie noire du vieux lock.
Loch...Deadlock...

Et durant la longue remontée vers là ou la lumière sait danser, il me semble l'entendre murmurer:
''Et l'épave...Sais-tu où elle était l'épave?...À quoi crois-tu que s'accrochaient toutes ces plantes dont tu t'es échappé?...''

3 commentaires:

Renata a dit…

Oh my god....
Quel suspense...c'est à en avoir des sueurs froides dans l'dos...
Ca me laisse un peu inquiète...

Marina Kowalsky a dit…

TEXTE ET PHOTOS: HYPNOTIQUE!!!!!!!!!

Nathalie C. a dit…

Hypnotique tu dis?
Tabarouette! On dirait que j'viens de me réveiller soudainement d'un rêve fantastique!

Mais comme Renata, ça me laisse un peu inquiète...
Les dangers guettent...