samedi 5 février 2011

LA REALIDAD...


Jorge rapportera ce soir à la casa un beau gros coronado. De quoi nourrir Isabel sa femme, sa fille et sa petite-fille pour la semaine.
Isabel le sait déjà; elle est là près de l'entrée du quai, juste à côté du flot incessant des touristes qui descendent et remontent l'avenida Rafael Melgar parsemée de bijouteries. Peu la remarquent, et ceux qui la voient la croient un peu dérangée... Toute petite, elle fait face au soleil couchant et lit en murmurant un passage de sa petite bible, quelques sacs de plastique à ses pieds, emplis des trouvailles de la journée.
Elle remercie Dieu que Jorge soit toujours en vie, et pour ce grand poisson qu'il lui montrera fièrement tantôt quand il rentrera et qu'elle feindra la surprise.

Pumba est assis à l'avant du bateau, là où il ne reçoit pas trop d'embruns. L'eau est froide. En tous cas elle l'est pour lui, qui y plonge chaque jour, même si pour les quatres plongeurs étrangers qui rient aux éclats des douches qu'ils recoivent à l'arrière, elle est un beaume tropical sur leur hiver.
Pumba les guidera sur les fonds marins protégés de Cozumel, espérant croiser un requin nourrice ou une grande raie aigle, ou un dauphin. Le pourboire est alors toujours meilleur...

Raul compte pour la dizième fois les nageoires des deux grands bulls sharks qui saignent au fond de son bateau. Le chinois lui en donnera plus d'argent qu'il n'en faisait en un an avant!
Bien sûr, les touristes plongeurs et les Italiens du centre de plongée lui jetteront un regard assassin. Mais ses amis pêcheurs du pueblo le féliciteront de les avoir débarrassés de deux autres compétiteurs. Si encore ils se contentaient de voler leurs prises...mais quand ils emportent aussi la flèche ou la grand-ligne, c'est des semaines de travail qui disparaissent.

Différentes réalités. Pumba doit une part de son salaire à la relative richesse des eaux Cozumélienes en grands pélagiques.
Jorge, Raul et les pêcheurs doivent leur subsistance aux mêmes eaux et voient avec soulagement les populations de requins diminuer. Un peu comme les vieux chasseurs québécois voudraient voir les loups disparaitre, qui mangent leurs chevreuils.
Les propriétaires des centres de plongée eux, perdent des milliers de dollars quand meurt un requin qui ne viendra plus nourrir les touristes d'émotions fortes. Ce dont Jorge et Raul se foutent un peu puisque, disent-ils, aucun d'eux n'est mexicain et cet argent ne leur profitera jamais de toute façon.
La mafia orientale engrange des zillions.

Je suis de retour dans ma réalité à moi. Devant mon écran, jettant de temps en temps par la fenêtre un regard mélancolique sur le décor gris et froid alors que pâlissent en fade-out dans ma mémoire les couleurs de l'Ile aux Hirondelles.

Le problème du massacre des requins est aussi et même avant tout, un problème social, humain.
-''La réalité de ta télévision et de ton ordinateur n'est pas celle des gens d'ici!, m'a dit Pumba. Pour la majorité d'entre eux, la réalité c'est ce qu'ils pourront mettre sur la table de leur famille ce soir.''

Le commerce des ailerons de requin gagne donc un autre titre de non-noblesse. Il est basé sur l'obligation quotidienne de sa main d'oeuvre au bas de l'échelle de subvenir à ses besoins. Il est l'exploitation de la pauvreté, de cette pauvreté grandissante des gens qui dépendent de la mer que nous engendrons par notre irrespect de celle-ci et de sa conservation.

Je ne suis pas allé à Playa Del Carmen, je n'ai pas cherché le pêcheur des bull sharks locaux pour lui demander des comptes, et je n'ai eu aucune réponse encore des gens supposés se rallier pour la cause de la préservation des requins de la riviera maya. Que je soupçonne de plus en plus n'être en fait que ces opérateurs de centres de plongée et de shark-feeding étrangers dont le souci n'est peut-être pas qu'écologique.
On m'a fait voir les choses d'un autre point de vue.

Merci Pumba. Merci Jorge. Et merci Isabel, pour ce petit ''hola'' entre deux versets, à un étranger riche, prétentieux et inconscient.

5 commentaires:

El Gringo a dit…

Cher Juan Pollo, ton récit en est un très émouvant, qui nous remet en face du fait que la "réalité" est souvent celle que l'on veut bien nous montrer, et que rien n'est désintéressé en ce bas monde ...

Seule chose, je ne crois pas qu'Isabel a dit bonjour a un étranger riche, prétentieux et inconscient ... L'inconscience et la prétention reviendrait plutôt a ceux et celles qui n'ont pas le courage de vérifier leurs opinions et de remettre en doute une réalité trop souvent prise pour acquis de sainte vérité immuable.

La vérité se définit non pas par ce que l'on sait, mais plutôt par ce que l'on ne sait pas ...

Anonyme a dit…

Un autre point de vue partiel, ou une vue partielle sur un autre point.

La relative perception…
Riche, prétentieux et inconscient? Non. Pas le moins du monde justement.
Conscient de la pauvreté et de l’exploitation oui… en crisss! Conscient aussi du fait que prendre l’avion pollue et qu’un poisson nourrit. Conscient aussi qu’une alerte, soit-elle donnée par des ‘’dive operators’’ en mal de clients de $$ ou d’écolos ou de fanatiques de tout acabit demeure une alerte qui peut être tout à fait justifiée quand même.
Avoir des prétentions au bien-être n’est surtout pas une tare. Je souhaite humblement que tous soient rassasiés, biens, heureux.

"When all the trees have been cut down, when all the animals have been hunted, when all the waters are polluted, when all the air is unsafe to breathe, only then will you discover you cannot eat money." Cree Prophecy

Le cash…. voilà le nerf de la guerre…Il est devenu le sixième sens de l’humanité sans lequel elle croit qu’elle ne peut jouir adéquatement des cinq autres. Dommage…tellement dommage.

Je garde ma prétention à la qualité de vie pour tous… en toute conscience.
Puis, je me garde aussi le LUXE d’apprécier un coucher de soleil, observer un chevreuil dans la nature en tout état de cause. Oui j’ai la chance de profiter de l’espace, d’eau pas encore trop souillée, d’air plus ou moins pur…Privilège du hasard uniquement. J’ai énormément de plaisirs et de respect pour une gorgée d’eau partagée et une poignée de riz .

Je ne me sens nullement pauvre auprès des indiens Bri-bri au Costa-Rica lorsque je partage le poisson pêché dans la journée mais riche et privilégié de tant de bonté naturelle de la part de mes amis. Je leur rends bien d’ailleurs à la mesure de mes modestes moyens qui sont simples pour les uns et exagérés pour les autres…
Le luxe me semble être l’opposé de la vulgarité et la richesse le contraire de la maudite pauvreté.

Non, je ne feel pas cheap surtout pas. Déterminisme? Effet papillon?
Je me sens à la fois simplement chanceux de par le hasard des lois statistiques et malheureux envers ceux et celles que je ne puis aider.

Snow qui fond

pepe a dit…

hopely!

Nathalie C. a dit…

Merci Pumba, Jorge et Isabel;
Et merci Jean-Louis, de nous raconter tes histoires, à travers lesquelles, non seulement on voyage, mais surtout on s'instruit.

Et cette instruction est un exercice essentiel à l'ouverture de notre esprit.

Alors merci de nous donner des perspectives différentes, outils parfaits pour maintenir un esprit bien ouvert et en santé!

Hermanita

Renata a dit…

Les voyages forment la jeunesse.
On voyage, on observe, on change notre fusil de bord.
C'est certain que les priorités changent lorsqu'on vit au bas de l'échelle de Maslow...
Le p'tit salut d'Isabel voulait peut-être dire "Salut gringo, merci de comprendre et de ne pas me juger". A ses yeux tu a peut-être paru riche, mais certainnement pas prétentieux ni inconscient.

Bravo pour ce récit empreint d'humilité et d'ouverture d'esprit.